Katerina Fotinaki parle à Actualité Bilingue

Comme Angelique Ionatos, avec qui elle partage un même univers musical, Katerina Fotinaki fait partie des artistes grecs très aimés du public français. Sur des mélodies inspirées de la musique ancienne ou traditionnelle, sa voix claire chante les grands poètes grecs contemporains. AB l'a rencontrée pour parler de son itinéraire musical et de sa vie en France. 

A.B. : Cela fait 10 ans que vous êtes arrivée en France, à Paris. Avez-vous vécu surtout ici, ou entre la Grèce et la France ?

La plupart du temps, je suis en France, à Paris -plus précisément à Gennevilliers où j’ai déménagé récemment. Ces dix dernières années, j’ai eu quelques activités en Grèce, comme en 2014 où j’ai travaillé pour l’Ecole publique d’Art dramatique de Grèce du Nord [à Thessalonique, NdT], ou ces trois derniers étés au « Village musical » à Agios Lavrentios. J’ai donné aussi quelques concerts. Mais rien de très systématique.

A.B. : Dans quelles circonstances exactes êtes-vous arrivée en France ?

Je suis venue un peu à l’aventure. Je n’avais pas décidé de vivre en France précisément. Je voulais seulement partir de Grèce. En « passant » par Paris, j’ai trouvé très rapidement du travail ; du coup, j’ai pris la décision de rester. Je ne parlais pas un mot de français. Pour mon premier travail, j’ai rendu service à l’ethnomusicologue Martine Catella, qui m’a demandé de collaborer avec elle, son Ecole et l’Académie Fratellini. Parallèlement, Angélique Ionatos m’a proposé de chanter à ses côtés, en décembre 2006, l’œuvre « Sappho de Mytilène » : c’est ainsi qu’ont commencé une collaboration et une amitié de longue date.

A.B. : Qu’est-ce qui vous attache à chacun de vos deux pays ?

Malgré le temps qui passe, mon cœur reste en Grèce. Je regarde les informations en grec, je lis des journaux grecs… Toutefois, j’ai trouvé en France une chose dont je suis très reconnaissante. On y trouve un soutien sérieux et bien réel à la création artistique de la part d’organismes compétents, ce que je n’ai jamais rencontré en Grèce. En outre, il y a un public curieux et généreux. Je vais vous raconter une histoire : il y a quelques années, j’ai été invitée au festival d’Arles « Les Suds », un 15 juillet 2011, à me produire très tôt dans une église située à plus d’une heure de route d’Arles. Quand je suis arrivée le matin pour jouer, je pensais qu’il n’y aurait personne… Or, j’ai eu la grande surprise de me retrouver face à un public remarquable de plus de 200 personnes : elles avaient fait un si grand déplacement dans le seul but d’écouter le concert… et elles l’ont écouté avec une grande attention et avec enthousiasme, alors que le programme comportait des morceaux pas « évidents », principalement axés sur la langue grecque (comme To oneiro d’après le poème de Dionysos Solomos, que j’ai interprété sur un mode parlé-chanté) !

A.B. : Etes-vous connue en Grèce ?

Une anecdote : parfois, de très jeunes gens, tout juste sortis de l’école, m’arrêtent dans la rue parce qu’ils me reconnaissent comme celle qui a écrit « le tango des pronoms personnels » [en français, Tango mnémotechnique, NdT], une chanson que j’ai écrite pour permettre de mémoriser facilement la déclinaison des pronoms personnels en grec ancien –j’avais composé ce genre de chansons lorsque j’enseignais dans un phrontistirio [école privée dispensant des cours supplémentaires, NdT] à Athènes. Sinon, je suis davantage connue, je pense, dans le cercle des musiciens. Mais pas auprès d’un plus large public.

A.B. : D’où vous vient le choix de la guitare ?

Ca a été une forme… de révolution personnelle. Ma plus grande sœur jouait du piano classique. J’ai commencé moi-même à apprendre le piano étant petite. Mais à un moment donné, je n’ai plus voulu ; j’ai cherché quelque chose de plus personnel. Nous avions une guitare chez nous, et j’ai décidé que je voulais apprendre cet instrument. Mes parents au début ne voulaient pas me payer le conservatoire, donc j’ai commencé à apprendre seule. Au final, j’ai suivi très peu de cours. C’est la raison pour laquelle j’affirme que je suis « une guitariste autodidacte ».

A.B. : Quelles sont les sources de votre travail créatif, de votre inspiration ?

Elles sont de deux ordres. L’une, la moins « directe » réside dans mes lectures et la musique que j’écoute. Il peut se passer des mois et des années avant qu’une quelconque stimulation ne prenne la forme d’une chanson. Par exemple, la musique de la chanson Tzitzikia (un poème d’Elytis), je l’ai quasiment entendue en rêve ! J’étais malade, couchée, quand soudain, j’ai bondi, pris la guitare et je l’ai jouée. Mais les choses se passent souvent ainsi : je dis et redis les poèmes que j’adore, et leur « musique », un jour, me vient toute seule.

A.B. : On connaît votre goût pour les poètes « classiques », comme Solomos, Elytis, Ritsos... Quels auteurs contemporains lisez-vous, quel genre de musique écoutez-vous ?

Non, je ne suis pas ce qu’on appelle la « littérature de crise ». J’aime beaucoup un poète contemporain qui s’appelle Giorgos Koropoulis. Son écriture rime constamment et j’adore le rythme et la musicalité de sa poésie. Et puis la façon qu’il a de mettre à distance ce dont il parle, en se montrant caustique avec lui-même, afin de mettre un voile sur une sensibilité profonde, cela me plaît. Quant à la musique, j’écoute surtout du classique chez moi, ou de la musique ancienne, et des compositeurs contemporains. Pour ce qui concerne le domaine grec, j’aime la musique traditionnelle. J’écoute aussi divers documentaires sonores curieux, issus de traditions particulières comme celles des Pygmées ou des Mongoles, les chants polyphoniques albanais, les musiques polyrythmiques de Bali.

A.B. : La deuxième source de votre inspiration serait-elle votre propre vie ?

La difficulté essentielle quand on prépare un spectacle n’est pas d’ordre technique, « comment donc vais-je dire telle chose », mais « que vais-je dire en soi ? », et la raison pour laquelle on a besoin de partager quelque chose avec les autres. Ce qu’on veut partager peut parfois être très personnel. C’était le cas pour mon spectacle Xorki, « Conjuration » (http://katerinafotinakispell.blogspot.fr/2016/01/spell-conjuration.html). Ce spectacle trouve sa source d’inspiration dans une vieille histoire personnelle, un chagrin d’amour et une trahison d’amitié. Fondée donc sur le propos de Jules Michelet, qui dit que les sorcières ressentent du désespoir depuis que cela existe, j’ai mis au point ce spectacle dans lequel j’ai préparé différents « chapitres » du désespoir et de la peine (d’amour, d’exil, du manque de justice, etc.) et des « conjurations » personnelles au moyen de la musique et de la poésie pour les « conjurer ».

Bien que pour ce spectacle je m’inspire d’un épisode que j’ai vécu personnellement, qui a été douloureux, il reste pourtant très éloigné d’un « thrène » [un chant funèbre, NdT], d’une lamentation personnelle. Je trouve particulièrement narcissique de vendre son désespoir. C’est pourquoi je n’aime pas préparer des chansons « lourdes » ni les interpréter d’une telle façon. Je m’efforce aussi de toujours rechercher une mise à distance, parce que ma douleur, en dernière analyse, ne concerne personne. Je m’y efforce, mais je n’y parviens pas toujours…

A.B. : Votre formation de professeur de Lettres classiques vous a amenée également à vous intéresser à la musique antique…

Oui. J’utilise souvent des éléments de celle-ci dans mon travail. Par exemple, pour un morceau de mon album, To oneiro. La harpe classique qui y joue le « thème » est accordée selon un mode grec antique, qu’on connaît d’après une tragédie perdue d’Euripide (un passage de lamentations du chœur de la tragédie Oreste).

Je porte beaucoup d’intérêt aux essais qu’on fait de nombreux chercheurs et les compositions en rapport avec cette approche de ce langage musical si différent. Il existe cependant encore beaucoup de problèmes concernant la manière de les exécuter. Je pense que finalement, quand on écoute certains exemples de « jeu reconstitué » de cette musique, ils donnent la même idée fausse de ce qu’ils étaient réellement que les statues grecques antiques, que nous voyons blanches alors qu’à l’époque elles avaient, pour la plupart, des couleurs, et étaient surtout très vivantes.

A.B. : Pour terminer, revenons à votre instrument, la guitare. Cet instrument offre beaucoup de potentialités musicales et rythmiques, que vous exploitez dans vos compositions. Pourtant, vous explorez aujourd’hui d’autres outils permettant de modifier le son, de trouver de nouvelles pistes...

Je dois ces expérimentations à Angélique Ionatos. En raison de la manière libre et inspirée dont elle-même utilise la guitare, mais aussi en raison de la place et de la liberté qu’elle m’a accordées dans notre travail commun, que je puisse chercher et trouver un jeu personnel. J’aurais beaucoup de difficulté à me « séparer » de mes outils que sont le ebow, la pédale de loop ou la pédale Freeze -ils font partie intégrante de ma façon de jouer et d’écrire la musique. Comme je le disais tout à l’heure, je ne suis de toute façon pas une guitariste « orthodoxe ». Pour moi, la guitare, c’est comme les épices en cuisine : tandis qu’un musicien joue la base, j’apporte moi quelques petites touches épicées. Quand je joue seule, étant donné que je joue des choses que j’ai composées ou que j’ai réarrangés, je joue de la façon qui me convient, c’est-à-dire finalement de façon personnelle !

A.B. : Quels sont vos projets du moment ?

J’ai une année très remplie, en termes de concerts mais surtout en enregistrements. Je vais enregistrer dans le courant de cet hiver, en France, le spectacle Xorki, et en décembre, en Grèce, un disque qu’on m’a proposé à ma grande surprise. Il s’agit d’une production de Photis Papatheodorou et de Spyros Baliou sur mon travail. Parallèlement, je suis de manière durable en tournée sur différents projets. Je continue à travailler avec Angélique Ionatos, avec laquelle je fête d’ailleurs la dixième année de collaboration, le 13 décembre à Paris, avec un concert-duetto au Triton. Je donne quelques concerts de l’album Tzitzikia, d’autres de Xorki. Je travaille aussi en collaboration avec des artistes d’autres endroits : avec le scénographe Eric Bouvron, sur un spectacle dramatique prenant sa source dans le roman Alexis Zorba de Kazantzakis, dont la première aura lieu en septembre de l’an prochain à Paris ; sur le spectacle Xenitia, avec des artistes venus d’Italie, de Belgique, de Grèce, dont la première a eu lieu en avril l’an dernier à Amsterdam ; il y a aussi, avec l’actrice Aglaia Pappas, un projet sur Thucydide ; puis avec la chorégraphe grecque Mairi Pardalakis, un spectacle s’inspirant du domaine des sciences.

A.B. : Un grand merci, Katerina, d'avoir pris le temps de répondre à nos questions !

Je vous remercie!

Propos recueillis par Benoit Dercy (adhérent à Phonie-Graphie)  

30/10/2016

Photo : Miltos Pantelias - Artwork Irini Gonou

Handmade Guitare : Frères Koukourigou