Des saisons, un jardin, le plaisir de prendre soin de la terre 

 

A.B. : Sophie, quel est ton métier ?

Sophie : Je suis éco-jardinière. Je travaille chez des particuliers qui ont besoin de quelqu’un pour s’occuper de leur jardin, ponctuellement ou annuellement.

A.B. : Je sais qu’il ne s’agit pas de ta formation initiale. Qu’est ce que tu as fait avant ? Et pourquoi ce changement ?

Sophie : Non, ce n’est pas ma formation de départ. Je suis retournée à l’école à 30 ans et j’ai abandonné tout ce que j’avais fait précémment, à savoir: réceptionniste, négociatrice dans l’immobilier, secrétaire commerciale pour revenir à quelque chose que je sentais important et j’ai donc préparé un bac professionnel pour adultes.

J’ai cherché pendant des années et je revenais toujours vers des formations sur les jardins, les paysages, les forêts.

Dans mes anciens métiers, j’étais employée, avec une hiérarchie pesante et je n’avais pas le sentiment que ce que je faisais était reconnu. Et je me suis dit « soit je continue à subir, soit je prends le taureau par les cornes ». Ensuite, il a fallu choisir : ou accepter un poste de salariée, ou créer mon emploi.

J’ai voulu créer mon entreprise et je me suis lancée comme ça, avec mon petit matériel et des affichettes dans la ville où je vis, à Combourg.

Ce choix était en moi depuis pas mal de temps.

J’ai eu des enfants et l’environnement dans lequel ils allaient vivre m’importait beaucoup.

Je voulais pouvoir dire à mes enfants que je fais, que j’ai fait quelque chose d’utile.

Nettoyer les jardins, quand les gens ne peuvent pas le faire. Là, je sers à quelque chose. Mais au-delà de ça, je prends soin de la terre. Quand je vais travailler, je laisse zéro trace de pesticides, je n’utilise que du naturel et je laisse la nature faire son travail toute seule. Elle le fait très très bien depuis qu’elle existe et nous.  Toutes ces choses donnent du sens à mes activités.

A.B. : Est-ce que tu penses, toi, qu’il y a beaucoup de gens qui pourraient avoir ces mêmes attentes, (par rapport à un travail) et qui n’osent pas, qui ont peur ?

Sophie : Je pense que beaucoup de gens sont prisonniers de la façon dont fonctionne la société, ils ne se posent plus de questions sur leur utilité. Mais je tiens à dire que ce n’est pas forcément dans un emploi que l’on va se réaliser, cela peut être dans une relation amicale, dans une relation de voisinage que l’on va pouvoir s’apporter des choses, des choses très importantes, un sourire, un service, mais on a tous besoin de se sentir utile.

A.B. : Quels sont les freins que l’on rencontre quand on veut se lancer dans une activité totalement différente de ce que l’on a appris à faire ou n’ayant rien à voir avec les choix qu’ont fait nos parents, pour eux, pour nous ?

Sophie : On a toujours des craintes, on se dit qu’on n’a aucune expérience, que les autres sont là depuis très très longtemps, on est dans un système de croyances dont on a hérité.

Mais les mêmes freins, on les rencontre aussi chez les clients.   

Pour revenir au jardin, quand je suis arrivée chez une cliente qui aimait que son jardin soit vraiment tiré au cordeau, et que j’ai remis mes tontes et mes feuilles coupées sur ses massifs, elle a poussé les hauts cris : « mais qu’est ce que vous me faites là, Sophie ! «  Alors je lui ai dit « vous voulez que j’enlève tout ? » et elle m’a répondu « non, mais expliquez-moi ». C’était une personne un peu curieuse et qui s’interrogeait sur ça.

A.B.: Cette cliente savait que tu travaillais en jardinage biologique ?

Sophie : Elle savait et malgré ses hauts cris, elle était décidée à me faire confiance. Et avec le temps, les bestioles du sol ont tout grignoté et elle s’est aperçue que ce paillage que j’utilise se désagrège vite et qu’il protège les massifs de l’érosion du sol, du vent, des intempéries, du soleil, que l’humidité reste constante sous ce paillis et qu’à un moment, il est complètement digéré par les organismes qui vivent dans la terre. Un peu plus de terre, un peu plus d’humus, et si on fait ce travail régulièrement, d’années en années, je n’ai pas besoin d’apporter de terreau, la terre se régénère, j’ai une vie microbienne qui est bien développée et on a peu de maladies. Cette cliente l’a constaté.

A.B. : Ce jardin, c’est un jardin potager ou un jardin d’agrément ?

Sophie : Un jardin d’agrément, avec des fleurs, mais toutes les plantes s’y sentent bien, et se mettent à pousser, de façon même excessive parfois, et on est obligé de tailler dedans. Donc, voilà, le bilan est positif. Mais on a appris aux gens à désherber soigneusement, à employer des produits phyto-sanitaires. Ces produits phyto-sanitaires chimiques ne sont pourtant pas utiles. Les techniques manuelles, qui finalement demandent relativement peu de travail sont très très performantes, ne coûtent rien, juste un peu d’huile de coude et le résultat est magnifique. Le jardin est beau et propre !

A.B.: J’ai envie de te poser une question toute simple. C’est quoi, un jardin ?

Sophie : Un jardin, c’est du bonheur. C’est un exercice créatif. C’est bien parce qu’on imagine quelque chose qui au final va nous ressembler. Il suffit d’aller chez les gens de voir leurs conceptions du jardin. D’un ami à l’autre, nous avons telle ou telle personnalité et tel ou tel jardin. Il est vrai que le jardin ressemble au jardinier, à celui qui s’en occupe, à celui qui l’a conçu. Donc, c’est très esthétique et très émouvant. Il y a de la beauté, c’est un miroir. Je m’émerveille toujours, dans un jardin, quelle que soit la saison, il y a toujours quelque chose de beau, une petite fleur, plantée là exprès, ou non. Plantes ornementales ou sauvages. Et dans ce jardin, il y a beaucoup de monde. Il y a des oiseaux, des petits mammifères, il y a beaucoup, beaucoup de monde. C’est un lieu qui est à la fois paisible et qui s’anime par les vies qui l’occupent. C’est pour ça que c’est important de prendre soin d’un jardin. Il y a beaucoup de monde à y habiter…

A.B.:  J’aimerais qu’on parle un peu de la biodiversité. Si on se promène à Combourg, on s’aperçoit que dans les jardins individuels, on retrouve toujours la même chose. Ces jardins semblent ne connaître que 6 ou 7 variétés de plantes et arbustes. Ce qui est dommage par rapport à ce que la nature nous offre.

Mais il faut dire que pour beaucoup, jardiner, c’est aller acheter quelques graines dans les grandes surfaces d’articles pour le jardin, qu’on appelle des jardineries, et qui sont les alliées des grandes firmes phytosanitaires.

Pourtant, la plupart des gens aiment sincèrement leur jardin mais ils font confiance à des industries qui au fond, ne veulent pas grand bien aux jardins, au paysage et à l’environnement.

(On sait qu’en France, où l’on détient un record d’utilisation d’engrais, de pesticides et de désherbants, les jardins domestiques sont une grande source de pollution, notamment par la contamination des nappes phréatiques).

Sophie :  Comme les modes vestimentaires, il y a les modes jardinières. Dans les années 60, il y avait le bouleau en cépée, c'est-à-dire planté en groupe de trois, le forsythia. Il y avait aussi l’épine vinette, un peu rose avec des feuilles piquantes, le sumac. Ce sont des choses qui sont à la mode et on va passer tout doucement à autre chose. Le camélia reste une valeur sûre en Bretagne.

Il y a une mode dans le choix des arbustes, il y a une mode dans le choix des traitements. La mode des années 50, c’est celle du tout chimique qui ravage la vie du sol. Et aujourd’hui, les sols sont largement pollués et encore pour de nombreuses années visiblement.

Il y a quand même un espoir. Je ne suis pas la seule à travailler dans ce secteur là. Il y a beaucoup de blogs de jardiniers et d’écojardiniers. Des conseils pour les particuliers qui veulent bien amorcer un changement. Il y a une prise de conscience, les gens se questionnent : qu’est ce que je vais laisser à mes enfants ? Beaucoup de gens recommencent à faire des potagers. J’ai des clients qui ont 80 ans et qui ont toujours fait leurs potagers. Ce sont des gens qui ont connu la guerre, qui étaient très jeunes et qui se souviennent qu’il fallait se nourrir et qu’on avait peu de moyens. Et aujourd’hui, on y revient, même si les gens en avaient perdu le sens. Le jardin nous relie à des choses essentielles.

Ce qui manque à la communauté aujourd’hui, c’est un lien un peu sacré avec ce qui nous entoure, avec la terre. Il y a un retour (pas fracassant). On se réapproprie un entretien propre et respectueux des jardins.

A.B. : Quand on se lance, on se lance sans savoir-faire, des savoir-faire qui existent et qui sont nombreux, surtout dans un métier comme le tien. Est-ce qu’on n’est pas un peu écrasé quand on commence, à l’idée de tout ce qu’il y a de connaissances et d’expérience contenues dans ces savoirs-faire et à l’inverse, est-ce qu’il n’y a pas le risque d’exagérer ces savoir-faire ? Si on regarde les paysans aujourd’hui, on imagine qu’ils ont un fort savoir-faire. Mais en réalité, ils sont très dépendants des modes de production modernes et ils perdu les savoirs anciens (qui étaient d’ailleurs parfois critiquables).

Sophie : Je me suis tout de suite attachée à des savoir-faire anciens. Hormis quels outils modernes, une tondeuse, une débrousailleuse (je n’ai pas le choix, mon travail m’impose quand même des rythmes). J’ai bien compris, pour rejoindre ce que disent les Bourguignon, que les paysans ont totalement perdu leurs savoirs-faire, ils se sont totalement déconnectés de leurs terres, ils ont coupé des talus, ils ont saccagé la nature et aujourd’hui, leurs terres ont besoin d’amendements, d’engrais.

Quand la motorisation est arrivée, les tracteurs sont arrivés, ils se sont dits « chouette, on va avoir une vie beaucoup moins difficile ». C’est vrai que leur vie était très laborieuse,. Il faut être à la ferme tous les jours, on ne peut pas s’absenter. On a des bêtes, on a des terres, c’est un travail très difficile. Mais ils se sont éloignés de savoir-faire essentiels et la mécanique ne donne pas réponse à tout.

Ils ont aujourd’hui d’énormes tracteurs. Mais ils ne sont rien sans les produits chimiques qu’on veut bien leur vendre. Ils sont totalement absorbés par le discours des firmes qui vendent ces produits phyto-sanitaires. Ils sont aussi victimes mais j’ai l’impression aujourd’hui, quand je discute avec eux, que certains s’interrogent. Certains font marche arrière, ils s’aperçoivent que le labour n’est plus obligatoire. On va juste laisser la terre se reposer un petit peu et les graines vont se ressemer très bien.

A.B.: Comment tu comptes évoluer dans ton activité ?

Sophie : J’ai compris qu’on peut se soigner avec les plantes. J’aimerais bien utiliser davantage de plantes médicinales.

On peut se soigner avec les plantes, on peut soigner le jardin avec les plantes. On a parlé de l’ortie, on peut parler d’huiles essentielles qui sont très très bénéfiques. Donc, on a toute une pharmacopée à portée de mains gratuite, ça, il faut le dire aux gens, ne pas aller à tous moments chez le médecin (les médecins soit dit en passant, commencent à se questionner sur l’arsenal médicamenteux, on voit que le Vidal se vide de quelques médicaments). Il faut absolument préserver les jardins pour pouvoir nous nourrir, nous soigner, soigner les animaux, sauvegarder la vie de certaines espèces, et donc ma vie au jardin va continuer. Et je conseillerais à chacun, à celui qui a besoin de tranquillité, de paix, de se retrouver dans un petit coin, pour faire le point, regarder et profiter de ses moments de beauté. Les saisons sont là pour nous rythmer aussi et ça, c’est quelque chose que j’ai appris avec le métier. Je vis au rythme des saisons et je trouve ça formidable parce qu’alors, on se rapproche de la terre et on la vit, avec sa chaleur, avec sa froidure, son humidité. Nous partageons ce milieu là et nous devons l’accompagner. Je conseille à chacun de prendre un petit bout de terre et de cultiver son jardin secret.

 

Propos recueillis par Joëlle Cantin  27/4/2014