Télévision publique : un pari perdu ?

 

3 ans ont passé, 3 ans que la Grèce se trouve au centre de la crise économique européenne.  3 ans de licenciements, d’entorses à la constitution de la part de gouvernants qui ont entrepris, dans ce laps de temps, de « sauver » le pays d’une faillite certaine, 3 ans d’asservissement du Grec ordinaire qui voit peu à peu ses droits bafoués et disparaître sans que l’on se souvienne même qu’ils ont un jour existés. Nous avons vu portés des coups violents à un grand nombre de branches professionnelles, même si ce n’est pas toutes, et notre dignité perdue sans espoir de retour.

Et tout cela nous le vivons intensément, mais, …chacun chez soi, isolément, comme si se déroulait sous nos yeux un scénario de science-fiction. Et quand le problème n’est plus seulement le nôtre, nous essayons de le résoudre seuls. Alors que l’histoire est là pour nous enseigner que seule la solidarité peut nous faire entrevoir une solution, nous nous cloisonnons et chacun fait grève dans son coin, avec son syndicat, nous voyons l’angoisse des autres et nous constatons avec tristesse « ceux là non plus n’y sont pas arrivés, et les nouvelles mesures passeront » ….inaptes, impuissants à tout changement.

Je le vis depuis 3 ans et alors que je commençais à croire que désormais, quoiqu’il arrive, les gens resteraient ainsi, repliés sur une sécurité trompeuse, Simos Kedikoglou  a soudain surgi sur nos écrans, le soir du 11 juin pour annoncer que le gouvernement avait décidé  l’ « épuration du service public », procédant à la fermeture de la télévision publique en l’espace d’une seule nuit.

Parce que, comme il l’assurait, ERT représentait de façon caractéristique  un cas unique d’opacité et d’incroyable gabegie : ceci devait prendre fin.

Ainsi donc, avec les quelques « planqués » nommés là par différents pouvoirs en totale absence de transparence  ces dernières décennies, 2656 employés, simples salariés comme vous et moi se trouvaient tout à coup sans travail et la Grèce sans télévision publique. Et alors que le signal de l’émetteur s’éteignait et que le noir gagnait nos écrans, et pas seulement,  ce Grec qui a peur et qui hésite à résister est sorti de chez lui et une foule nombreuse a commencé à se rassembler devant ERT, à Agia Paraskevi. Des gens qui n’étaient jamais sortis en solidarité avec les marins, les professeurs, les agriculteurs et les routiers ont commencé à se rassembler devant l’ERT en un flot ininterrompu, et sont restés ainsi toute la nuit, avec des artistes qui enfin s’engageaient, une nuit blanche à attendre le moment de défendre ces « vaches sacrées ». Ce Grec qui comprenait enfin que le plus important est la solidarité, qu’après ceux-ci viendrait leur tour, et qu’une démocratie ne peut ainsi « exécuter » une institution,  de façon aussi sommaire.  Et ils sont restés là, ce premier soir, jusqu’à l’aube, attendant les CRS pour défendre leur dignité et leur honneur perdus. Les CRS ne sont pas venus, ni le premier soir, ni le second, car le gouvernement a vite compris qu’une autre erreur serait la dernière.

ERT émet désormais illégalement, de façon pirate, depuis donc déjà deux mois. Et tandis que les gens attendaient en vain une réponse collective, solidaire, l’oubli a fait son travail. Les syndicats n’ont pas annoncé  de grève générale et une fois encore, on a laissé se perdre l’énergie des premiers jours et les Grecs sont rentrés chez eux, sans sommeil et épuisés pour aller de nouveau travailler pour 500 euros par mois.

Alors que certains annonçaient que ce serait un nouveau « Polytechnique » et que des rêveurs pensaient que quelque chose pourrait changer, rien ne s’est passé et le pari de ERT demeure perdu pour l’instant.

Non sans répandre quelques germes ; car les Grecs ne sont plus les mêmes, désormais ils savent ce qui les attend et il leur reste à décider si c’est finalement ça qu’ils veulent vivre.   

 

Traduit par Joëlle Cantin 12/9/2013