Les 11000 verges

Les amours d’un hospodar.

 

Guillaume Apollinaire

 

La littérature érotique a toujours été mon genre littéraire préféré. Mon premier contact avec  elle fut « La philosophie dans le boudoir » du Marquis de Sade, un texte inconnu de moi à cette époque, acheté, je n’avais pas encore 18 ans, à la boutique du musée érotique de Paris- en ce temps-là, je sautais allègrement tous les développements philosophiques. Des plus subtiles liaisons dangereuses » de Laclos avec leur merveilleuse adaptation cinématographique, de « l’histoire de l’œil » de Bataille jusqu’au « Grand Oriental » d’Embirikos, avec la dimension surréaliste de sa passion érotique, tous ces textes furent pour moi l’occasion d’une enivrante exploration. Tout écrivain classique qui se respecte, de Diderot, avec les « Bijoux indiscrets » à Maupassant, a en ce domaine quelque chose à nous offrir, une petite œuvre érotique mais délicieuse.

Parmi les livres recommandés par un ami, je considère comme tout à fait particulier « les 11000 verges » d’Apollinaire. Plus connu pour des recueils poétiques comme « Calligrammes » ou « Alcools », Apollinaire ne cesse de surprendre son lecteur. Adepte du cubisme et du symbolisme, précurseur du surréalisme, il écrit ici un texte qui n’a pas d’équivalent.

 

Ce livre appartient à la littérature érotique mais, comme toutes les œuvres d’Apollinaire, il est bien plus que cela. C’est en même temps un ouvrage politique qui évoque au passage la supériorité de la puissance japonaise, la faiblesse de l’empire russe et le fanatisme des Serbes. L’histoire se mêle au psychisme humain, dans ce qu’il a de plus abyssal, avec tout un déploiement de  sarcasmes, d’humour, de fantasmes et des scènes pornographiques très crues– sadisme, masochisme, nécrophilie, zoophilie, pratiques hétérophiles et homophiles, dans un récit allégorique où l’on sent l’influence des travaux de Freud, et qui laisse après lecture l’impression surréaliste d’un champ de bataille.

Le héros, un prince roumain, et son compagnon, tel un autre Apollinaire et son ami Picasso, vont de champs de bataille en consulats et garçonnières de diplomates, qui sont les lieux des scènes érotiques et au cours d’un voyage effréné se livrent aux expériences les plus diverses, contées avec un vocabulaire érotique unique en son genre. A la fin du livre, comme dans le Poète assassiné, du même auteur, l’érection d’un monument, ici d’une statue, rend hommage à l’immortalité du héros de l’érotisme :

« Ci-gît le prince Vibescu

Unique amant des onze mille verges

Mieux vaudrait, passant ! sois-en convaincu

Dépuceler les onze mille vierges »

A sa sortie,  Apollinaire n’a pas revendiqué la paternité de l’ouvrage, car le récit était considérablement transgressif et il est encore aujourd’hui difficilement assimilable socialement. Il fut publié clandestinement en France en 1906 où il demeura interdit jusqu’en 1970.

En Turquie, en 1999, les éditions Xandes en ont donné une traduction qui fut rapidement retirée des librairies. Les autorités turques ayant jugé que « le contenu immoral et obscène du livre visait à « exciter ou exploiter les désirs sexuels de la population »  firent saisir les exemplaires et condamnèrent l’éditeur à une amende. Rachmi Agdas, l’éditeur turc, a par la suite fait appel de la décision devant la Cour européenne des droits de l’homme où il a obtenu gain de cause.

 

Ce livre mérite d’être lu et pour une initiation à la littérature érotique, c’est un modèle du genre, parmi les meilleurs. Pablo Picasso en disait « C’est le plus beau livre de tous les temps et, quoiqu’on puisse en penser, merveilleusement délirant, écrit avec une franche gaîté et avec une totale liberté, et qui fait de la guerre russo-japonaise de 1905 un extraordinaire théâtre sadomasochiste »

 

Le texte que j’ai lu et auquel je me réfère est édité par Exandas et traduit pas Auguste Corto.

 

Écrit par Kalliopi Mandilara  9/7/2015

Traduit par Joëlle Cantin